Bernard Anton : quand l’humaniste part en guerre… /livre
Ne lui demandez pas de débarquer au front avec un fusil. Ce poète des temps modernes vit dans la province de Québec, au Canada. Auteur de plus de cinquante livres de différents genres, ce touche-à-tout est aussi professeur. Mais sa spécialité repose avant tout sur la poésie et sur son expression. Bernard Anton s’est épris du haïku il y a plusieurs années déjà et s’est pleinement approprié cette forme venue du Japon, d’apparence simple, minimaliste, mais subtile. Pour rappel, le « haïku » traditionnel embrasse la structure suivante : trois vers, cinq syllabes, puis sept, puis cinq de nouveau. Ces poèmes ont pour vocation de décrire l’instant présent, futile et impossible à empoigner. L’artiste s‘étonne face à son environnement, à cette nature dont il s’imprègne.
Et cela tombe bien, car l’écrivain engagé a récemment publié ses « Lauriers pour l’Ukraine », un recueil poétique de 68 pages. L’ouvrage est paru dans la branche des « Impliqués » le 2 juin 2022. Par ailleurs, cette catégorie partie des éditions de L’Harmattan. La première partie de ce livre coup-de-poing se consacre exclusivement à la guerre qui fait rage à l’est de l’Europe. Entre la Russie et l’Ukraine, la situation a dégénéré, à la suite de l’invasion du pays par les forces de Vladimir Poutine. Le poète, dont le nom de plume est « Ben » — s’est déjà attelé à l’expression des crises et des urgences. Tout d’abord, son combat écologique se retranscrit parfaitement sous la forme du haïku japonais. C’est le cas pour ses recueils : « Célébrades » et « Montagnes de cendres », publiés aux mêmes éditions. Tandis que l’un s’interroge et pointe du doigt les limites du transhumanisme et la dégradation de la planète, l’autre s’attaque directement à la gestion de la pandémie.
Cette fois, les « Lauriers pour l’Ukraine » adoptent un ton particulièrement lourd et sombre. Certains passages donnent la chair de poule. Certes, le texte est aéré, grâce à une mise en page minimaliste. Mais le propos vise juste et heurte notre sensibilité, cherchant à interpeler notre empathie naturelle. Par exemple : « terrible dilemme — aider ou ne pas aider ? — familles décimées. ». L’ouvrage soutient fermement la position du président Zelenski face à son adversaire. Souvent, le courage ukrainien est salué : « villes à genoux — mort des aurores blessées — l’esprit tient debout. » Outre l’horreur de la guerre qui terrorise l’artiste, il y a aussi le champ de bataille. La planète Terre est également touchée par ces assauts répétés : « génocide en règle — mines antipersonnelles — campagnes rasées. » Cette entrée en matière s’achève à la page 39. Enfin, la seconde partie du recueil appelée « Entre la peau et la pulpe » renvoie davantage à l’aspect convenu du haïku. Le poète s’étonne et s’émerveille devant une nature sauvage sublime : « vent d’automne — une feuille-grenouille — sautille devant ma porte. » Comme un calme après la tempête, l’écrivain sait prendre soin de ce lectorat qui accueille cette section à la manière d’une trêve nostalgique et mélancolique.
En effet, les autres « chapitres particuliers » de ce recueil sont des haïkus écrits avant la guerre. Parmi ceux-ci les « Libertades » nous renvoient à la touche intime de Bernard Anton, qui adore s’approprier et créer de nouveaux mots. Cette lecture agréable et sensuelle offre une place spéciale à l’amour et à la passion charnelle, en toute subtilité. Ce grand admirateur de Brigitte Bardot tient également à lui dédier ses « Jeux de grâce ». Ce n’est pas là son coup d’essai, puisque les « Célébrades » de Ben rendent hommage à la protectrice des animaux. Malgré ses frasques médiatiques, le personnage emblématique de BB symbolise pour lui le combat de toute une vie, notamment via sa fondation.
Grâce aux dates, le lecteur peut établir sa propre chronologie. Par exemple, la sombre « Dysharmonie » a été rédigée en janvier 2022, ce qui correspond au mois précédent l’invasion de l’Ukraine. « A la rescousse des masques » s’achève dans un esprit de joie et de fête. Serait-ce un jeu de mots entre le masque chirurgical et la parure de Venise ?
Finalement, Bernard Anton est un poète humaniste, qui cherche à décrire avec précision son monde et ses préoccupations. Comme tant d’autres figures engagées et activistes, il réussit à exprimer ses émotions dans un univers théâtral, qui ne prend plus le temps de respirer ou de vivre. Un philanthrope prolifique et productif, qui se démarque en osant. En effet, le « haïku » est une forme qui tend à se perdre, délaissée par les librairies et les lecteurs. Par ce défi, l’écrivain parvient à toucher sa cible, peu importe sa génération. Certaines réflexions pousseront à la critique constructive. En définitive, le recueil « Lauriers pour l’Ukraine » donne des envies de création et d’ailleurs. Une belle leçon de style, en toute humilité.
M. Zack SEMINET
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