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Terpsychore de Roger Baillet : faites la rencontre de la muse Alba /livre

Avant de se lancer dans la voie du roman, Roger Baillet était professeur à l’université. Cet amoureux de l’Italie, de sa culture et de sa langue, transmet son savoir et ses connaissances pointilleuses à travers des écrits vivants, passionnants et érudits. Terpsychore ou la légèreté de l’être fait référence à l’une des neuf muses, Terpsichore la mère des sirènes. Aujourd’hui bien intégrée au langage courant, la « muse » est l’inspiration des artistes : elle incarne ainsi un idéal, une sorte de créature adorée qui suscite l’admiration.

Ce roman prometteur publié chez l’éditeur éclectique Des Auteurs des Livres. L’ouvrage paru en mars 2022 pourrait aisément être assimilé au genre historique, mais cette lecture hybride propulse sa cible à différentes époques. Armé de sa grande sensibilité et de sa poésie quasi naturelle, Roger Baillet se lance dans le récit d’une vie : celle d’Alba, son héroïne. Un écrit intimiste, entièrement rédigé à la première personne et qui place une femme d’origine syrienne, élevée dans un pays qui l’éloigne de ses racines. Pourtant, ce n’est pas là son « vrai nom », mais plutôt celle qu’elle s’est appropriée corps et âme. Ce flou volontaire autour de ce personnage fascinant, doté d’une grande intelligence intrigue d’emblée le lecteur.

Par ailleurs, le livre lui-même a été finement organisé, grâce à une mise en page aérée qui facilite l’expérience de lecture et favorise l’immersion. Dans ce témoignage fictif, la protagoniste présente son quotidien, à Lyon. L’ancienne bergère éprise par les miracles de la nature semble déconnectée de la platitude des autres routines. Puisqu’elle est neuroatypique, Alba peine à se faire une place dans cette société qui préfère la norme, au détriment de la différence — qui est pourtant sa plus grande force.

Au fil du temps, la belle s’essaie au travail d’assistante dans une maison de retraite. Mais rien ne laisse prédisposer la suite des évènements, qui prennent une tournure à la fois mystérieuse, suggestive et même sensuelle. Comme porteuse de plusieurs existences en elles, cette « vieille âme » dans un corps jeune s’affranchit des bonnes mœurs. Elle se lance dans la vie de prostituée de luxe, rêveuse de rencontrer de grands personnages et de vivre des expériences hors du commun. Pour cette rêveuse invétérée, cette décision peut surprendre. Le lecteur s’interroge et se prend d’affection pour cette héroïne quasi irréelle et pourtant habitée par une vague d’émotions authentiques.

Après Lyon, Alba découvre Paris, au bras d’un homme. Elle s’aventure même au-delà des frontières de la France, allant jusqu’à Saint-Pétersbourg. Dans ce texte gorgé de poésie, la violence est mise à rude épreuve. Dans le viseur d’un agresseur sordide, cette fleur humaine se blesse. Triste quotidien qu’est celui d’une femme considérée comme un objet… Puisque la seconde partie du roman s’intitule « La Danse » en opposition au premier : « l’Être », cette discipline occupe une grande place dans la narration. C’est pourquoi le ballet y est fortement exploité. Cette thématique forme même un jeu de miroir avec la trame, qui pourrait être adapté sous forme d’opéra. 

Ce roman court prend des airs de voyage initiatique et qui laisse une empreinte indélébile dans l’imaginaire du lecteur, qui a participé à ces élans lyriques hors du temps. Un genre de rêve où les acteurs semblent à la fois inaccessibles, tant ils sont impressionnants — mais aussi terriblement humains et faillibles. Cela renvoie évidemment aux mythes fondateurs comme les métamorphoses d’Ovide.

Dans cette « odyssée » revisitée, l’héroïne est une femme qui s’entoure des puissants. Par exemple, Pygmalion est un personnage bien présent dans l’ouvrage. Cela fait directement référence à l’effet Pygmalion, lorsqu’un supérieur « formate » et séduit l’individu inexpérimenté. Ce pouvoir, cette domination s’exerce grâce à un habile jeu de manipulation. Étrangement et contrairement au cliché habituel, souvent servi par une littérature peu subtile, Roger Baillet a réussi à tisser une relation complexe entre ces deux personnages. Pas une fois le lecteur n’a l’impression de faire face à une Alba enchaînée, muselée. Bien au contraire, son évolution apparaît et se ressent. Entre la première et la dernière page, cette « statue en cours de construction » prend forme. En son sein, Alba incarne de multiples femmes, personnalités. Ce n’est pas là une trace d’instabilité, mais plutôt l’exploration d’une sagesse alternative. En mettant sur le devant de la scène une héroïne qui s’assume pleinement, l’écrivain donne la voix à une icône profonde et intense.

En définitive, Terpsychore ou la légèreté de l’être est une petite pépite dans l’océan de la littérature contemporaine. On y retrouve tous les ingrédients d’un grand livre et la patte d’un maître en la matière. Monsieur Baillet signe ici une véritable déclaration d’amour à l’Art : douce, puissante, musicale et vivante.

 Zack SEMINET

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