Sensualité et Histoire forment un duo explosif dans Le Magnolia de Lise Antunes Simoes
L’auteure française vivant au Québec est une véritable passionnée du dix-neuvième siècle, ainsi que toute l’esthétique qui en découle. Il faut dire que l’ère victorienne inspire de nombreuses œuvres d’art, même aujourd’hui. Cette période à la fois si éloignée et proche de l’époque actuelle a connu une accélération des progrès ahurissante et une remise en cause des modèles sociaux préétablis. Cette romancière s’est donc lancé le défi de créer une trilogie : Les filles de Joie. Le premier tome porte l’intriguant tire : Le Magnolia. Le second, L’heure bleue et enfin le dernier : La grimace du tigre. Dans ce livre épais, l’écrivaine emmène son lecteur à bord d’une machine à voyager dans le temps et dans le monde.
Direction le Québec, pour une rencontre avec l’héroïne de cette histoire palpitante : Victoire. La jeune fille a grandi dans un milieu privilégié et surtout très pieux. Malheureusement, son existence tranquille va prendre un tout autre tournant, quand la famille Boivin va apprendre que l’adolescente est tombée enceinte en dehors des liens sacrés du mariage ! Perdre sa virginité avant les noces est alors considéré comme un péché. Pour ces « filles-mères » très mal perçues par la société, l’avenir s’annonce particulièrement sombre. D’ailleurs, Victoire n’échappe pas à ces brimades, puisqu’elle est envoyée à Montréal, dans une usine chez Monsieur Goudreau. Son paternel Adémar est un luthier respectable, qui ne souhaite pas faire d’esclandre. Il rejette purement et simplement sa propre fille, qui se rebelle contre l’autorité masculine et toute forme de misogynie… Le prêtre, père Thomas l’aide donc à se dépêtrer de cette triste situation. Elle qui désirait tant vivre en ville, la voilà propulsée dans une fabrique de chapeaux, loin de son Boucherville natal.
La belle Victoire ne se laisse pas abattre : comme ses collègues qui ont aussi été envoyées pour cacher des « incidents » du genre, elle doit prendre le pli et obéir à certaines règles si elle veut survivre. Dans une chambre sordide et sale qu’elle loue à un homme menaçant, Victoire rêve de luxe sous toutes ses formes… Les pieds dans la crasse, la pauvre gamine ne semble pas mesurer l’impact de ses propres responsabilités. D’ailleurs, elle finit par accoucher seule et confie le bébé à un couvent. Quelque temps après cet épisode qui ne la marque nullement, la protagoniste croise la route de Madame Rainville, surnommée la dame en noir. Celle-ci lui fait une proposition spéciale. Si elle souhaite abandonner son quotidien physique et éprouvant à l’usine, Victoire pourrait tout quitter pour rejoindre l’établissement particulier, tenu par Madame Angèle. Le Magnolia est un lieu où tous les plaisirs sont permis, puisqu’il s’agit d’une maison close. En l’échange d’une compagnie féminine, les hommes sont prêts à débourser des fortunes… Après plusieurs semaines d’hésitation, Victoire prend le contrôle de son existence. De toute façon, l’élégante femme qu’elle a rencontrée semble mettre l’accent sur la richesse de la structure et le respect des employées.
Lorsqu’elle rejoint l’équipe du Magnolia, Victoire s’habitue très rapidement au règlement de Madame Angèle… Et y déroge souvent. En réalité, les codes concernent le pourboire. Il est interdit de recevoir des dons et de les garder pour soi, par exemple. Dès son arrivée, Victoire est considérée comme une perle. La jeune fille de dix-huit ans rencontre ses partenaires, partage un dortoir avec d’autres prostituées, avec lesquelles elle s’entend bien. Madame Angèle surveille tout, pendant que les « anciennes » plus expérimentées prennent en charge Victoire. Celle-ci raffole des objets clinquants, des bijoux et vêtements très chers. Elle est servie ! Grâce à ces ornements, la courtisane paraîtra encore plus belle aux yeux de ses premiers clients.
En très peu de temps, l’héroïne connaît une ascension fulgurante. Elle devient la petite préférée de ces messieurs, tire profit et même ressent une vraie satisfaction à l’idée de réaliser certains fantasmes. Ce roman érotique met l’accent sur le tabou du plaisir féminin et surtout sur la question cruciale : le féminisme est-il compatible avec la prostitution ? Dans cette fiction historique, l’héroïne ne convient pas aux bienséances de son temps. En total décalage, elle fait figure de modernité. Par exemple, elle n’hésite pas à s’enfuir — chose qui est interdite pour les prostituées qui logent dans la maison close. Tôt ou tard, Victoire devra assumer le poids de ses actions, puisque chaque choix qu’elle prend entraîne une conséquence drastique sur elle et surtout sur ses collègues. Ses amies se rendent compte que cette jeunesse qui plaît tant à la clientèle porte son lot de défauts et d’absurdités. Un comportement égoïste qui ne manque pas d’agacer le lecteur !
Finalement, le premier tome de la trilogie des Filles de Joie permet de titiller la curiosité de lecteurs passionnés ou non d’Histoire. Avec un sujet comme la prostitution, l’auteure se donne l’occasion d’exploiter une thématique qui intrigue et fascine depuis toujours. Dans une ambiance où les femmes sont mises au-devant de la scène, le livre prend des airs de huis clos, où l’oppression ressentie par Victoire, rêveuse de liberté — se transmet dans l’œil du lecteur.
L’ouvrage est disponible en France, depuis le mois de mai 2022 chez Les éditeurs réunis.
Zack SEMINET
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